Directeurs, étudiants et enseignants s’opposant au projet de décret lié à la levée du secret professionnel des Assistant-e-s Sociaux(ales)
Carte blanche parue dans Le Soir du 16 février de Marc Chambeau, professeur dans le département social de Louvain-la-Neuve
Etudiants et enseignants en travail social, nous avons fait le choix de notre profession et de nos études, parce qu’elles s’inscrivent dans une culture d’abord au service des populations, et dans une logique de travail porteuse des valeurs fondamentales de la démocratie (l’égalité, la liberté, la solidarité, le respect d’autrui, la tolérance,).
Cette culture se trouve d’ailleurs renforcée dans nos écoles en Fédération Wallonie-Bruxelles au travers d’un enseignement du travail social qui, pour le moins, a fait de manière claire et énoncée, le choix d’une formation au service de cette culture professionnelle. Une formation scolaire qui est d’ailleurs subsidiée par les pouvoirs publics sur base de programmes validés et reconnus.
Nous, enseignants, constatons de plus en plus cette volonté de forcer une orientation normative à la profession, déconsidérant totalement, par la même occasion, les cadres méthodologiques, éthiques et déontologiques dans lesquels s’inscrivent les pratiques de travail social. Ces cadres se sont pourtant forgés, au cours des années, au travers de longs débats et de solides réflexions dont l’objectif n’était que rarement la protection de prés carrés qui seraient détenus par les travailleurs, mais davantage la volonté de produire un travail véritablement efficace, à destination des ayants-droits (et par la même tellement utile, à une société démocratique) Aujourd’hui, nous sommes à un tournant. Ces mêmes pouvoirs publics veulent associer les travailleurs sociaux à d’autres missions (la lutte contre la fraude sociale, contre le radicalisme), bien éloignées de ce qui fonde le travail social, notamment par la dénonciation et la levée du secret professionnel. Cette injonction nie absolument la déontologie du travailleur social qui constitue une assise primordiale de notre travail. Mais au-delà, l’injonction nie aussi son éthique, notre éthique. La dignité, les droits fondamentaux, l’émancipation se doivent d’être les moteurs d’un travail social qui se respecte parce qu’il repose sur des valeurs humanistes structurellement et institutionnellement fondées. Or, la dignité, dans le contexte social actuel, dans le cadre des soutiens publics apportés aux personnes qui vivent des difficultés, c’est loin d’être gagné. Tant pour les personnes qui vivent ces difficultés que pour les travailleurs sociaux dont la responsabilité est de les aider. Ce qui est imposé ici, c’est un changement de l’essence des missions. Un changement (pas une évolution, un changement) de notre métier !
Nous nous rendons compte et nous affirmons que, quand ces pouvoirs politiques font le choix de mêler les travailleurs sociaux à la lutte contre le radicalisme religieux ou contre la fraude sociale en imposant des pratiques, ils ne se contentent pas de rajouter l’une ou l’autre tâche aux travailleurs. Ce qu’ils font, c’est pervertir fondamentalement les missions, en total décalage avec la formation qu’ils ont reçue, les valeurs qu’ils défendent, et le plus souvent, les valeurs que les organisations pour lesquelles ils travaillent, défendent également… au travers des missions pour lesquelles elles aussi sont subsidiées !
Les travailleurs sociaux ne refusent pas de collaborer aux luttes mises en place par les pouvoirs publics. Ils le font déjà d’ailleurs. Et avec une certaine efficacité. Mais avec leurs méthodologies propres, leurs outils créés et construits à partir de leurs expériences de travail et de leurs dialogues professionnels. Des outils et des méthodologies qui ne détruisent pas, mais au contraire, s’appuient sur les fondements du métier tellement ancrés. Nous, étudiants et enseignants, sommes ainsi convaincus que décréter le changement des méthodologies, de la déontologie et de l’éthique des travailleurs sociaux, si c’est d’abord changer notre métier, c’est aussi, et surtout dans le contexte qui nous amène à réagir aujourd’hui, rendre inefficace le travail que les professionnels mènent, y compris dans les luttes que le politique veut leur imposer.
Nous, enseignants et étudiants, travailleurs sociaux et futurs travailleurs sociaux, nous revendiquons le développement d’un travail social qui puisse encore participer à une démocratie solidaire visant l’émancipation de chacun. Un travail social qui questionne et interpelle quand des mesures politiques, quand des orientations économiques, produisent de l’indifférence ou de l’intolérance, accentuent les inégalités, l’exclusion, enferment les femmes, les hommes, les jeunes dans des cases desquelles il ne serait pas possible de sortir. Un travail social qui œuvre au quotidien pour et avec les ayants-droits afin que ceux-ci obtiennent la place légitime qui devrait leur revenir de droit dans une société qui se dit respectueuse et tolérante.
Marc Chambeau, maître de formation pratique HELHa-Cardijn Louvain-la-Neuve et un collectif de signataires.